La saison présentée par Anne Copéry, violoncelle du quatuor Ludwig

 

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1er concert : Spectacle « Textes et musique » Beethoven (1770-1827) avec Didier Sandre

Dernier grand représentant du classicisme viennois (après Haydn et Mozart), Beethoven a préparé l’évolution vers le romantisme en musique et considérablement influencé la musique occidentale. Inclassable (« Vous me faites l’impression d’un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes » lui dit Haydn vers 1793), son art s’est exprimé à travers différents genres musicaux, et bien que sa musique symphonique soit la principale source de sa popularité, il a eu un impact également considérable dans l’écriture pianistique et dans la musique de chambre.

Surmontant à force de volonté les épreuves d’une vie marquée par la surdité qui le frappe à l'âge de 27 ans, célébrant dans sa musique le triomphe de l’héroïsme et de la joie quand le destin lui imposait l’isolement et la misère, il sera récompensé post mortem par cette affirmation de Romain Rolland : « Il est bien davantage que le premier des musiciens. Il est la force la plus héroïque de l’art moderne ». Expression d’une inaltérable foi en l’homme et d’un optimisme volontaire, affirmation d’un artiste libre et indépendant, l’œuvre de Beethoven a fait de lui une des figures les plus marquantes de l’histoire de la musique.

 

2e concert : Chausson - Debussy – Ravel

Chausson (1855 - 1899)

Son quatuor date de 1899. Il obtient une licence en droit en mars 1876 et devient avocat-stagiaire en mai 1877. Il fréquente le salon de Berthe de Rayssac à partir de 1875 environ. Il se passionne pour les arts, notamment la littérature, la peinture, et la musique.

La richesse bourgeoise de sa famille lui a permis de se consacrer entièrement à la musique. Vers la fin de l'année 1878, il commence à suivre des leçons dans la classe de Jules Massenet, au Conservatoire de Paris, d'abord en auditeur libre, puis en tant qu'élève officiel, de fin 1880 à juillet 1881.

Grand admirateur de Wagner, il se rendra de nombreuses fois à Bayreuth et assistera même à la création de Parsifal, mais il écrira toutefois lui-même un jour : « Il faut se déwagnériser ».

Il reçoit chez lui, dans son hôtel particulier du 22 boulevard de Courcelles, nombre d'artistes majeurs de son temps, notamment Paul Dukas et Claude Debussy, avec qui il se lie d'amitié.

Il œuvrera beaucoup pour la musique en tant que mécène et secrétaire de la Société Nationale de Musique. Il mourra d’une chute de bicyclette sans finir son quatuor à cordes.

Debussy (1862 – 1918)

Son quatuor date de 1893

Il a toujours été noté et remarqué au conservatoire de Paris comme ingénieux et anti conformiste notamment en classe d’harmonie. Vers 1887, Debussy fréquente les fameux mardis de Mallarmé et le salon de la famille de Léopold Stevens. En 1888, il se rend à Bayreuth où il assiste à plusieurs opéras de Richard Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg), Tristan und Isolde, Parsifal. Si ces œuvres provoquent chez lui un sentiment mitigé, elles le marqueront à jamais.

C’est, avant tout, l’exposition universelle de 1889, et sa découverte de rythmes et d’associations de sonorités « exotiques », plus spécifiquement celles du gamelan javanais, qui lui font forte impression, et influent profondément sur ses compositions à venir : gamme, « couleurs » sonores, ruptures rythmiques.

Vers 1910, la Faculté de médecine diagnostique à Debussy un cancer du rectum. Sa santé se détériore rapidement et ses souffrances sont de plus en plus difficiles à supporter, surtout la dernière année de sa vie. Il ne sort alors plus que très rarement et achève ses dernières œuvres.

 Il est donc brièvement wagnérien en 1889, puis anticonformiste le reste de sa vie, en rejetant tous les académismes esthétiques. Avec La Mer, il renouvelle la forme symphonique ; avec Jeux, il inscrit la musique pour ballet dans un modernisme prophétique ; avec Pelléas et Mélisande, l’opéra français sort des ornières de la tradition du drame lyrique, tandis qu’il confère à la musique de chambre, avec son quatuor à cordes, des accents impressionnistes inspirés.

Une part importante de son œuvre est pour le piano (la plus vaste de la musique française avec celle de Gabriel Fauré) et utilise une palette sonore particulièrement riche et évocatrice.

Claude Debussy laisse l’image d’un créateur original et profond d’une musique où souffle le vent de la liberté. Son impact sera décisif dans l’histoire de la musique. Pour André Boucourechliev, il incarnerait la véritable révolution musicale du vingtième siècle.

Ravel (1875 -1937)

Son quatuor date de 1902

Avec son aîné Claude Debussy, Ravel fut la figure la plus influente de la musique française de son époque et le principal représentant du courant dit impressionniste au début du XXe siècle. Son œuvre, modeste en quantité (quatre-vingt-six œuvres originales, vingt-cinq œuvres orchestrées ou transcrites), est le fruit d'influences variées s'étendant de Couperin et Rameau jusqu'aux couleurs et rythmes du jazz, dont celle, récurrente, de l'Espagne.

Caractérisée par sa grande diversité de genres, la production musicale de Ravel respecte dans son ensemble la tradition classique et s'étale sur une période créatrice de plus de quarante années qui la rendent contemporaine de celles de Fauré, Debussy, Stravinsky, Prokofiev, Bartók ou Gershwin.

C’est un orchestrateur magique ! Les traits ravéliens les plus caractéristiques sont son goût pour les sonorités hispaniques et orientales, pour l’exotisme et le fantastique, le perfectionnisme, le raffinement mélodique, la virtuosité du piano, les rythmes décalés et concernant son unique quatuor le rythme de danse basque pour son final.

Son quatuor appartient à une période particulièrement féconde (1901 à 1908).

Il n’a jamais obtenu le Prix de Rome (il a essayé 5 fois de 1900 à 1905 !), mais ses déboires ne l’ont pas empêché, dès 1901, d'affirmer pour de bon sa personnalité musicale avec les Jeux d’eau pour piano, pièce d'inspiration lisztienne qui, la première, lui valut l'étiquette de musicien impressionniste. Très tôt et longtemps dans sa carrière, Ravel fut comparé à Debussy avec une insistance qui voulut le faire passer pour un imitateur puis rapidement pour un rival. Si l'influence de Debussy ne fut jamais démentie par Ravel, elle ne resta pas à sens unique.

Certains critiques musicaux aidant,(en particulier Pierre Lalo du Temps, l'un des plus farouches adversaires de la musique de Ravel), ces trajectoires communes tournèrent assez vite au duel à distance et furent mal ressenties par l'auteur de La Mer.

Debussy et Ravel ne se fréquentèrent pas et leur relation, d'abord cordiale, devint très distante à partir de 1905. Jusqu'à la fin de sa vie, Ravel ne manqua jamais de rappeler combien il estimait Debussy.

Je ne peux m’empêcher de vous citer quelques phrases de Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts, qu’il prononça pour les obsèques de Ravel

« Dans le langage et dans l'univers de la musique, et sans jamais briser ni dépasser cet univers, mais au contraire en usant jusqu'à l'infini et avec une généreuse, une inépuisable malice, de toutes les ressources de cet univers, Maurice Ravel s'est efforcé de montrer tout ce que sa merveilleuse intelligence était capable d'accomplir, tout ce qu'elle était capable d'exprimer. Et cela sans négliger les choses obscures, ni les choses douloureuses, ni les choses passionnées. Sans non plus tomber dans la virtuosité pour la virtuosité, la parade pour la parade. Le sortilège ravélien n'est pas une simple prestidigitation ; il n'est pas seulement éblouissant. Il n'y a nulle sécheresse en lui. Et s'il est sans grandiloquence, cela ne veut pas dire qu'il soit sans grandeur. Sa grandeur vient justement de cette vigilance perpétuelle de l'intelligence, de cette présence constante de l'esprit qui mesure, cherche, indique, décompose, connaît et au besoin sourit. »

Et de vous citer également ce que Ravel disait de lui-même : « Je n’ai jamais éprouvé le besoin de formuler, soit pour autrui soit pour moi-même, les principes de mon esthétique. Si j’étais tenu de le faire, je demanderais la permission de reprendre à mon compte les simples déclarations que Mozart a faites à ce sujet. Il se bornait à dire que la musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enfin et toujours la musique. »

 

3e concert : Haydn (op. 76 n°4) - Brahms (Ballades pour piano) - Schumann (Quintette) avec Denis Pascal

Brahms (Ballades pour piano) :

S’il est une forme musicale intimement liée à la poésie, c’est bien la Ballade, à la construction stricte et strophique, largement remise à l’ordre du jour au XIXè siècle, il semble donc naturel que les plus importantes figures romantiques Chopin, Brahms et Liszt l’aient abordée

Évoquer les ballades de Brahms c’est évoquer un compositeur porté par le drame écrit

La Ballade op10 n°4 de Brahms reste constamment dans une texture ternaire : chant, basse accompagnement, s’inspirant à la fois de l’écriture d’un simple choral et d’un chant accompagné par un imaginaire luth, plaçant l’œuvre dans un rêve plus médiéval que classique. Aucune dramaturgie contrastée, la forme demeure stable et stricte et l’ensemble demande à l’interprète un voyage intérieur proche de ceux qu’il doit parcourir avec Schubert. Cette stabilité de l’écriture, presque monochrome, l’étrange tonalité, la tessiture sombre et serrée de la 4ème ballade de Brahms plonge l’auditeur et l’interprète dans d'étranges ailleurs.

La difficulté réside donc dans la réalisation convaincante et la conduite de ce chant/ prière, qui parfois invoque le repos de l’au-delà.

Quintette de Schumann

Composé en 1842 et créé en 1843 par Clara Schumann au piano.

1842 : année faste pendant laquelle Schumann va se consacrer à la musique de chambre avec les 3 quatuors op.41, le quintette avec piano op.44, le quatuor avec piano op.47 et la Phantasiestücke pour trio op.88. C'est une période heureuse pour le compositeur qui vient enfin d'épouser Clara, et son langage musical s'en ressent. Il compose facilement et se libère  der ses tourments, mais ça ne durera pas…Première œuvre romantique pour cette formation, il reçoit un accueil triomphal et inspirera par la suite Brahms, Franck ou Dvorak.

Wagner se montra très enthousiaste à propos du quintette : « Votre quintette, très cher Schumann m′a beaucoup plu […] je vois quel chemin vous voulez suivre, c′est aussi le mien, là est l′unique chance de salut » (lettre du 25 février 1843)

Liszt, en revanche, le juge trop conservateur, ce qui blessa profondément Schumann. On raconte même que les deux hommes s'affrontèrent à ce sujet. C'est Felix Mendelssohn, ami de Schumann, qui l'encouragea dans la composition du quintette et lui conseilla d'ajouter un deuxième trio dans le Scherzo.

Quatre mouvements, à l'écriture virtuose : I. Allegro brillante ; II. In modo d'una marcia. Un poco largamente ; III. Scherzo, molto vivace ; IV. Finale, allegro ma non troppo

 

4e concert : Voyage au pays de l’amour avec Hélène le Corre

Berlioz : L'île inconnue, La mort d'Ophélie

Duparc : Au pays où se fait la guerre

Ravel : 1er mouvement du quatuor, Le réveil de la mariée, Quel galant m'est comparable, Trois beaux oiseaux du paradis

Poulenc : Les chemins de l’amour

Chabrier : Air de l'Etoile

Debussy : Romance, 3e mouvement du quatuor, Fantoches

Fauré : L'Absent, Les Roses d'Ispahan

Ravel : 2e mouvement du quatuor

Canteloube : 2 mélodies dont je ne vous citerai pas le nom car c’est de l’occitan !

 

5e et dernier concert : Œuvres surprises à 2, 3, 4 et 5 musiciens puis transcription de la symphonie pastorale de Beethoven (1770-1827) pour sextuor à cordes

Cette transcription de Fischer date de l’époque du compositeur (1810)

Créée en 1808 en même temps que la Symphonie n°5, la Symphonie n°6 « Pastorale » constitue une exception dans la période « héroïque » de Beethoven. Il y peint sur cinq mouvements un univers naturel idyllique, des scènes de campagne où se mêlent des thèmes de musique folklorique et des bruits de la nature qu'un orage vient troubler.

Dans cette Symphonie, Beethoven dresse un tableau des sentiments profonds de l'homme face à la nature dans lequel il déploie une écriture résolument moderne ouvrant ainsi le chemin au romantisme.

Dès la parution de l'œuvre, Michael Gotthard Fischer – organiste et compositeur – livre sa transcription pour sextuor à cordes de la Symphonie n°6 au public des salons d'Europe. Dans son écriture visionnaire, il a su utiliser avec subtilité les timbres et la puissance des six instruments à cordes pour restituer la pensée de Beethoven, et en ce sens cette transcription prend naturellement sa place dans le répertoire de la musique de chambre

Elle nous fait redécouvrir cette œuvre emblématique, substituant la puissance de l'orchestre symphonique à l'intimité de la musique de chambre.

Le sextuor à cordes offre une proximité incomparable, révélant chaque nuance et chaque subtilité de l’œuvre et mettant en valeur la richesse de la composition originale tout en ajoutant une dimension chaleureuse et immersive.

Le dialogue harmonieux et puissant de chaque instrument nous plonge dans l'univers bucolique de la Symphonie Pastorale comme vous ne l'avez jamais entendue auparavant.

 

Sur Fischer et les transcriptions de Beethoven :

Beethoven lui-même a arrangé sa Symphonie n°2 pour trio avec piano et il a demandé à son ami et élève le compositeur et virtuose du piano Ferdinand Ries de l'arranger pour quatuor à cordes, ce qu'il a fait, et a ensuite arrangé la n°3, l'Eroica, pour quatuor avec piano. Et le célèbre compositeur Johann Nepomuk Hummel a arrangé toutes les symphonies de Beethoven pour flûte, violon, violoncelle et piano.

Pendant la première moitié du XIXe siècle, l'arrangement d'œuvres à grande échelle pour des ensembles de musique de chambre était une pratique courante. Pourquoi? Car après la Révolution française, les gouvernements européens se sont montrés très méfiants à l'égard des grands rassemblements d'hommes et les ont découragés par la surveillance policière, craignant les complots révolutionnaires. Et, bien sûr, il a fallu un grand groupe d'hommes pour répéter et interpréter une symphonie. Ajoutez à cela qu'un énorme nouveau marché pour la musique de chambre a vu le jour à cette époque, la fabrication de musique à domicile devenant l'un des passe-temps les plus populaires pour les classes bourgeoises émergentes d'Europe occidentale.

Aussi bien les compositeurs que les éditeurs, soucieux de faire des profits, avaient l'habitude de faire faire des arrangements de musique de chambre à partir d'œuvres à grande échelle de compositeurs connus. Alors que tout au long du XIXe siècle, divers compositeurs et arrangeurs se sont essayés à l'arrangement de la Symphonie n° 6 pour quatuor à cordes, les quatre cordes n'étaient tout simplement pas suffisantes pour fournir une interprétation satisfaisante de l'œuvre. D'autre part, le seul arrangement contemporain de la symphonie réalisé par Michael Gotthard Fischer (1773-1829) pour 2 violons, 2 altos et 2 violoncelles crée la profondeur sonore nécessaire à une telle œuvre.

Aujourd'hui, contrairement à Hummel et Ries, Fischer et sa musique sont pratiquement oubliés, même si ce n'était pas vrai de son vivant. Sa musique vocale et d'orgue est bien accueillie et il n'ignore pas la musique de chambre, écrivant deux quatuors à cordes, un quintette à cordes et un quatuor avec piano. Alors que Fischer était presque un contemporain exact de Beethoven, il n'y a aucune preuve suggérant qu'ils se connaissaient ni aucune indication que Beethoven ait demandé ou autorisé Fischer à faire son arrangement de sextuor à cordes de la symphonie.

D'un autre côté, Beethoven aurait certainement eu connaissance de l'arrangement et aurait très bien pu exprimer son mécontentement puisque l'arrangement de Fischer est sorti pratiquement en même temps que Breitkopf et Härtel, l'éditeur à qui Beethoven a vendu la Symphonie, ont sorti l'original orchestral parties et partition en 1810. Selon toute vraisemblance, Beethoven était satisfait car cela donnait à sa symphonie un public beaucoup plus large qu'il n'en aurait autrement bénéficié à l'époque.